Retour à l'accueil

Hommage à Yves Dupont

  • Dernière modification de la publication :23 mai 2025
  • Post category: Hommage

Yves Dupont nous a quittés. Il compta parmi les fondateurs de notre unité de recherche qui, en 1993, s’appelait le LASAR (laboratoire d’analyse sociologique et anthropologique des risques), dont il fut directeur de 1998 à 2006.

Nous n’avons pas seulement perdu un intellectuel engagé comme on n’en fait plus, mais aussi et surtout un penseur et un professeur exceptionnel. Et pour beaucoup, un ami. Fils d’instituteur républicain et résistant, ce dont il restera fier toute sa vie, il se destinait à devenir professeur d’anglais. Mais ce jour là, le réveil n’a pas sonné, alors il se tourne vers le tout nouvel « Institut de sociologie » créé en 1967 par Claude Lefort à l’université de Caen (institut qui ne comptait qu’une dizaine d’étudiants !). C’est le choc, la découverte du monde intellectuel et de la pensée, il y croise Marcel Gauchet, jeune étudiant, et Alain Caillé, jeune enseignant. Sont également présents le psychanalyste et philosophe Philippe Girard, qui deviendra ami de toujours, et Louis Moreau-de-Bellaing, autre fidèle compagnon de route.

Il entre à l’Institut national de la recherche agronomique à Paris en 1975, où il mènera des travaux pionniers sur le monde paysan et le développement local jusqu’en 1990. Il retrouve alors l’université de Caen, comme maître de conférences cette fois-ci, puis comme professeur de socioanthropologie de 1991 à 2006.

Menant une retraire active de professeur émérite, il publia encore deux ouvrages (L‘Université en miettes et Le Sacrifice des paysans).

Personnalité engagée, doté d’un sérieux sens de l’humour, il cultivait aussi un sens du tragique qu’il tirait de son ancrage dans la philosophie critique continentale issue de la catastrophe du XXe siècle (écologique, anthropologique et politique). Cultivant comme Günther Anders une sorte de sens du désespoir « méthodologique », il lui arrivait fréquemment d’entrer dans notre bureau en s’écriant : cette fois c’est la fin ! Pus il reprenait la question, évaluait nos chances de s’en sortir, de sauver ce qui pourrait l’être de la nature et de la démocratie, de la liberté (il aimait citer René Char) et du monde habitable. C’est ainsi qu’il perçut avant les autres sociologues – l’importance de penser les conséquences de notre arrachement à la Terre, tout autant que la nécessité de préserver une certaine forme d’attachement au sol (à la langue maternelle, au corps, à la nature et à la communauté). C’est en menant ses travaux sur le développement local, notamment à Marchésieux dans le département de la Manche, et avec les paysans qu’il développa une problématique socio-anthropologique qui lui permit de poser les bases d’une pensée fondamentale de l’écologie politique comme réenracinement dialectique. L’écologie deviendra politique lorsque l’économie aura cessé de l’être se plaisait-il à lancer. Rodé dans son cours de licence au cours des années 80, cette problématique prendra la forme des Champs du départ (1989) et, surtout, de L’Équivoque écologique (1991), deux ouvrages rédigés avec ses partenaires et amis de l’INRA que sont Pierre Bitoun (co-auteur de Sacrifice des paysans) et Pierre Alphandéry.

Ouvert aux disciplines connexes à la sociologie au sein des « humanités » telles que la psychanalyse et l’histoire, il s’était largement attaché à penser la question de la transmission, et son corollaire la crise de la culture, diagnostiquant les pathologies de la modernité dévoyée, du développement des avant-gardes technophiles aux problèmes de socialisation. Il n’a eu cesse de rappeler l’importance du symbolique, dans son analyse des crises comme faits de sorcellerie (au sens de Jeanne Favret-Saada dans Les mots, la mort, les sorts), sans perdre de vue la nature construite des faits sociaux, c’est-à-dire institutions que sont la science, le langage ou encore les formes d’agrégations sociales.

Frédérick LEMARCHAND, directeur du Centre de recherche Risques & vulnérabilités (CERREV)

Votre message

Seules les personnes disposant d’un compte numérique UNICAEN peuvent poster un message.
Vous devez être connecté pour publier un commentaire.